Publié le 16/03/2022 à 21:00 , CENTRE PRESSE
Le prévenu de 35 ans assume tout sauf son erreur de tir : en décembre 2019 il prend un promeneur pour un sanglier, 200 mètres en contrebas dans un bois de Camarès. La victime s'en sortira avec une grave blessure. Le tribunal l'a reconnu coupable et lui a infligé des peines d'amende et la privation pour deux ans de son permis de chasse.
"Attention, ce n'est pas le procès de la chasse!", prévient le procureur Olivier Naboulet en commençant son réquisitoire. Il faut dire qu'une récente actualité dramatique sur un accident de chasse mortel ayant coûté la vie en février à une jeune Flagnacoise est dans tous les esprits. La scénographie de cette battue est pourtant assez semblable, la victime, en revanche s'en sortira. Avec de graves blessures au bras gauche.
L'artisan de 35 ans qui comparaît ce mercredi soir au tribunal judiciaire de Rodez est calme, fournit toutes les explications souhaitées, rappelle qu'il a porté, en bon sapeur-pompier volontaire, secours à sa victime, un homme de 47 ans, qu'il connaît "depuis longtemps" et pour lequel il n'a jamais eu d'inimitiés. Il s'agit bien d'un malheureux et regrettable accident.
"Un sanglier mâle de 50 kilos" en ligne de mire
Ce mercredi 4 décembre 2019, la battue au sanglier dans les travers boisés de Camarès touche à sa fin. Le prévenu est "traqueur" et, contrairement aux "postés" qui ne bougent pas, court après les chiens. Lesquels "lèvent" un sanglier que le chasseur va pointer, "les deux yeux ouverts" dit-il, et tirer avec une carabine de calibre 30-06, dont les balles ont une portée de quatre kilomètres. La cible est à 200 mètres, près d'un ruisseau en contrebas. " J'avais bien identifié l'animal, un mâle d'environ 50 kilos, dit-il lors de son audition. Mais après avoir tiré, j'ai entendu des cris, je me suis rendu aussi vite que possible à l'endroit d'où ils émanaient... Et je reconnais l'homme qui est blessé". Les secours sont prévenus, le quadragénaire qui cherchait des champignons assure n'avoir jamais entendu de chiens. Il a l'humérus gauche brisé, un hélicoptère va l'évacuer à l'hôpital où il subira de multiples opérations.
Trop de manquements aux protocoles
Pour le chasseur, il ne fait aucun doute que la balle n'a pu que ricocher contre un obstacle avant d'atteindre le promeneur. Les investigations des enquêteurs et les rapports des experts en balistique réfuteront l'argument, repris par la suite dans les réquisitions du procureur. Il s'agit bien d'une erreur de tir. "Je ne comprends toujours pas ce qui a pu se passer", répète calmement le prévenu à la barre du tribunal. La présidente, Sylvia Descrozaille, reprend tout l'enchaînement des faits. Pour pointer aussi bon nombre d'autres erreurs : nul ne connaissait le nombre exact de chasseurs à cette battue, celle-ci était semble-t-il terminée au moment des faits mais les talkies-walkies manquant de piles, le chasseur auteur du tir n'aurait pas entendu le message. Le chasseur précisément avait utilisé les GPS des colliers de ses chiens pour conduire la partie de chasse (ce qui est interdit), avait utilisé son véhicule pour suivre ces mêmes chiens (ce qui est interdit), avait rafistolé la sécurité de son arme et ne tenait guère son équipement en bon état ( ce qui est négligent).
Issu d'une famille de chasseurs, il pratique depuis l'âge de 15 ans, n'a jamais provoqué d'accident, passe pour un gars calme et pondéré, participe souvent à des battues dont il connaît les protocoles de sécurité. Il reconnaît quand même que ceux-ci ne sont pas toujours respectés, les habitudes et les usages prenant souvent le dessus. "Dans toutes sociétés de chasse, tout le monde bouge sur le périmètre", se défend le prévenu, son tir ayant eu lieu hors de la zone prédéterminée. "Ce n'est pas parce que tout le monde fait mal qu'il faut le faire", rétorque la présidente.
L'impossible ricochet
En fait, beaucoup d'approximations sont soulevées dans ce qui reste "juste le procès d'un chasseur", qui reconnaît qu'il a tiré, mais qu'il visait bien un sanglier. "Je regrette qu'il ne dise pas qu'il a pu faire une erreur, qu'il a violé une obligation de prudence, qu'il n'a pas assumé son tir, lance le procureur. La balle ne peut avoir ricoché, pourquoi s'enferme-t-il dans quelque chose qui est scientifiquement impossible?". Et de placer au centre de ses réquisitions une suspension de trois ans de son permis de chasse et la confiscation de l'arme, sur la base du délit de blessures involontaires par violation délibérée d'une obligation de sécurité ou de prudence. Il encourait un an de prison ferme (contre trois ans pour les mêmes faits, mais dans le cadre d'un accident de la route...).
Pour la victime, Me Bellen-Rotger du barreau de Toulouse accuse un "tir impulsif, sans réfléchir. Il y a trop souvent un gouffre entre les règles précises de sécurité et la pratique au fil du temps...". Et rappelle notamment: "On soumet le sort des promeneurs à la chance qu'il ne leur arrive rien". Pour la défense du prévenu, Me Lucie Creyssels du barreau de l'Aveyron, assure que son client "ne conteste pas la version des faits, cet accident l'a beaucoup traumatisé". Mais plaide le partage de la responsabilité avec le chef de battue qui aurait dû être convoqué lui aussi au tribunal, et le fait que d'autres chasseurs auraient bien vu le sanglier dans la zone de tir...
Le tribunal condamnera le chasseur à 1.500 € d'amende (dont 750 € avec sursis) ainsi qu'une confiscation de l'arme, une suspension de deux ans du permis de chasse, pour les blessures involontaires, et 800€ pour les contraventions (GPS des chiens, utilisation de la voiture).
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